
SENEGAL : Fin de l'anarchie chez les moto-taxi ?
L’année commence sur les chapeaux de roues des … « Jakarta » (appellation des moto-taxis) et « thiak-thiak » (livreurs à deux-roues motorisés) pour la nouvelle équipe dirigeante du Sénégal qui s’est résolument engagée dans la lutte contre l’anarchie qui règne sur la voie publique et à laquelle participent activement les nombreux conducteurs de ces motocycles.
Après presque une décennie durant laquelle les Sénégalais ont vu déferler ce phénomène avec son cortège d’accidents, d’agressions, et d’actes d’incivilité, il était temps que l’Etat prenne la pleine conscience du véritable problème de santé publique et de sécurité que représente l’absence d’organisation de cette activité prisée par une fange importante de la jeunesse.
Il y a lieu de rappeler qu’à l’échelle planétaire, 25% des décès enregistrés sur les réseaux routiers concernent des piétons, cyclistes et motocyclistes. Rien qu’en Afrique, ce pourcentage s’élève à 44 % (source OMS). Au Sénégal, les services de traumatologie de tous les hôpitaux sont saturés de motards accidentés. On les connaît désormais sous l’appellation de « Service Jakarta ».
L’écrasante majorité des « Jakartamen et thiak-thiak » présentent la particularité de circuler en l’absence de permis de conduire, d’assurance, de carte grise, de plaque d’immatriculation et de casque. Forts de leur impunité, ils sont spécialisés dans le gymkhana urbain et ont pour devise que rien, ni personne ne doit entraver leur progression. Ce qui les autorise à emprunter les voies et trottoirs dans le sens qu’ils ont décidé. Et en cas inévitable de dégâts causés à d’autres usagers de la route, la fuite reste l’attitude la plus partagée.
Par chance, il arrive de tomber sur quelques rares professionnels qui cochent toutes les cases du civisme.
La note de service des autorités intimant l’ordre aux services concernés de s’assurer de la mise en conformité des tous les conducteurs et véhicules sur l’ensemble du territoire et assortie d’un délai de trois mois aurait dû être favorablement accueilli par les bénéficiaires car rejoignant le consensus trouvé lors des récents états généraux des transports publics tenus au mois de novembre 2024 à Dakar. De plus, elle accordait la gratuité de certains frais.
Contre toute attente, des manifestations ont éclaté en divers endroits du pays pour dénoncer la mise en application de cette directive sous des motifs divers liés au délai, au reste à payer, à la difficulté de constituer des dossiers en raison de l’absence de documents essentiels et probablement à la résistance au changement pour certains que la clandestinité arrange.
Cette levée de boucliers a conduit le Directeur des Transports Terrestres à faire des concessions, dont une a particulièrement retenu mon attention. Elle consiste à autoriser l’immatriculation de véhicules importés mais ne disposant pas de documents de dédouanement spécifiques. Autrement dit, une moto volée à l’Etranger pourrait être immatriculée au Sénégal en toute « légalité » grâce à cet arrangement !
Au-delà du signal brouillé qui est envoyé, il est à craindre que nous soyons au commencement d’un rétropédalage qui ne dit pas son nom. Et cela est d’autant plus regrettable que par souci de préserver l’emploi que se sont créés ces jeunes (en l’absence de perspectives offertes par l’Etat) et d’acquérir une paix sociale relative, le risque est grand de passer à côté d’une occasion d’assainir le secteur du transport à deux-roues.
La reprise en main de cette activité exige de l’Etat rigueur, fermeté et audace.
Rigueur dans la définition du cahier des charges soumis aux bénéficiaires de cette mesure, à savoir :
- Recensement des motos-taxis au niveau de chaque commune du territoire.
- Sélection des candidats qui remplissent les conditions d’éligibilité au programme de régularisation (après étude des documents administratifs et contrôle technique visuel des véhicules).
- Stage obligatoire de sensibilisation à la sécurité routière.
Fermeté dans l’application sans réserve des contrôles routiers et des sanctions pour tout contrevenant.
- Confiscation de tout véhicule non identifiable circulant sur la voie publique au-delà du délai de mise en conformité.
- Amende salée pour tout conducteur responsable d’une infraction.
- Renforcement des rondes des brigades motorisées de la police et de la gendarmerie mieux équipées pour lutter contre les incivilités sur la voie publique.
Audace dans la recherche de perspectives pour les recalés du système.
L’Etat doit jouer son rôle dans la mise en place de conditions favorables à l’emploi de sa jeunesse. Tous ne peuvent être vendeurs ambulants « jakartamen ou thiak-thiak ». L’objectif recherché par ces mesures devrait aboutir l’assainissement du transport à deux-roues, grâce à :
- une organisation du secteur (Qui est qui ? Qui fait quoi ?).
- la réduction significative des accidents par la prise de conscience de l’importance des équipements de sécurité.
- des recettes financières générées par les contraventions numérisées (véhicules et conducteurs désormais identifiables et traçables). -
Une meilleure prise en charge médicale des accidentés de la route en raison de l’assurance obligatoire. En raison de l’ampleur du programme et de l’impact positif attendu sur la santé publique et la sécurité l’Etat gagnerait à solliciter le concours de partenaires internationaux tels le Fonds Mondial pour la Sécurité Routière (GRSF), le Fonds des Nations-Unies pour la Sécurité Routière (UNRSF) et la Banque africaine de Développement (BAD) qui disposent tous de fonds alloués à des plans nationaux de lutte contre l’insécurité routière, fléau élevé au rang de pandémie mondiale au niveau de ces organismes supranationaux.
La sécurité doit guider chaque prise de décision des autorités en matière de mobilité, car chaque victime de la route est une victime de trop ! Les usagers de la voie publique doivent savoir que « le code de la route de s’interprète pas ! Il s’apprend et s’applique ! »
Becaye Ba,
Consultant mobilité & sécurité routière- 12 janvier 2025
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